di Marie Kortam [*]
Les dimensions spatio-temporelles sont des composantes essentielles dans la sociologie des réfugiés palestiniens. Pourtant, diverses études existantes sur les réfugiés palestiniens donnent l’importance à la durée et non au temps. En d’autres termes, le cadre d’analyse est donné à la durée de période écoulée dans les camps depuis l’arrivée des réfugiés à nos jours d’une façon statique, alors que le concept du temps est d’abord présenté par Aristote comme « quelque chose du mouvement ». En effet, le temps ne serait pas pensable sans mouvement observé et sans faire intervenir la psyché (Dubar, 2008).
Dans les études sur la durée, la distinction est souvent faite entre d’un côté les primo-arrivants en 1948, d’un autre côté les réfugiés nés sur la route de l’exode ou dans les pays hôtes et enfin les réfugiés de troisième génération (al-Husseini, 2007; Chesnot, Lama, 1998; Courbage, 2002; Francos, 1968; Sayigh, 1980).
En primant la temporalité sur la durée, ce papier analyse les différentes temporalités chez les jeunes des camps palestiniens du Liban. Celle de la mémoire longue de l’exil et celle du quotidien. Dans les camps des réfugiés palestiniens, les jeunes constituent la quatrième génération de l’exil, dont ils sont les héritiers. Ils vivent des temporalités différentes de celle de leurs parents ou leurs grands-parents. Leur propre production de temporalités et leur rapport à l’exil sont construits avec des histoires transmises, par la mémoire collective qui serait une production sociale d’une temporalité qui « implique toujours une dimension dramatique, c’est-à-dire de mise en scène et de mise en sens » (Akoun, 1999 : 532).
En m’intéressant tout d’abord au temps présent, je tente de répondre aux questions suivantes : comment vivent ces jeunes dans un espace qui leur a été attribué comme un lieu d’attente ? Quel est le poids sur eux de la mémoire collective construite en exil ? Comment vivent-ils au quotidien ? À partir de cette question, je mobiliserai les notions de mémoire collective, de quotidienneté et de futur confisqué pour développer mon analyse en termes de temporalité.
J’envisage la vie quotidienne comme mode d’appréhension privilégié de la réalité sociale (Javeau, 1991), pour traduire le vécu de la mémoire collective de ces groupes. Est-ce que leur quotidien est marqué par cette mémoire collective ? Comme l’a bien montré l’interactionnisme symbolique (Goffman, 1973), la vie quotidienne est comme un théâtre où les acteurs sont en jeu continu. La réalité quotidienne dans mon étude formera le cadre spatio-temporel où les réfugiés, évoluant dans leur camp, expriment leur rapport à l’exil, construisent leur mémoire collective, et s’inscrivent également dans une temporalité spécifique. La quotidienneté est analysée dans cet article comme l’interface entre les pratiques individuelles des jeunes, leur projection dans le futur et la mémoire collective dans des interactions quotidiennes.
La méthode de recherche retenue est qualitative, en plus de l’observation participante, j’ai effectué des entretiens compréhensifs « qui ne sont rien d’autre que la formalisation d’un savoir-faire personnel issu de terrain » (Kauffman, 2007 : 11) avec des femmes et des hommes dans différents camps de réfugiés palestiniens au Liban entre 2008 et 2015, âgés de vingt à trente ans, ayant des profils socio-professionnels variés. La méthode d’analyse est celle de l’analyse de contenu qui est « une réduction et une interprétation du contenu et non une restitution de son intégralité ou de sa vérité cachée » (Kauffman, 2007 : 20).
Cette étude monographique des temporalités à travers la quotidienneté dans un espace d’exil et de refuge est divisée en trois temps. Dans une sociographie des camps représentés par les habitants, je montrerai en premier, en quoi ces camps vivent, aujourd’hui, une involution et une perte de la mémoire collective. En second, les camps comme source de protection, mais aussi de mal-être. Enfin, j’évoquerai la représentation des jeunes palestiniens du présent, du passé et du futur.
Involution du camp: d’un lieu de mémoire à un lieu de marginalisation
Le camp, comme il a été défini par l’Unrwa [1], signifie un terrain loué par les pays hôtes à l’Unrwa pour le séjour des réfugiés de Palestine et la construction des annexes répondant à leurs besoins. De leur côté, les camps du Liban ont été construits de manière progressive, mais anarchique ; l’espace est exigu, étouffant et surpeuplé [2]. Les camps sont souvent assimilés à des bidonvilles, des quartiers pauvres et des ghettos (Vieillard-Baron in Gallissot, Moulin, 1995 : 36).
Dans son article sur la force du témoignage (2006), Agier consacre une partie sur le témoignage palestinien. Il évoque une parole à plusieurs voix, celle(s) des plus anciens qui ont vécu la Naqba, ou la catastrophe, et celle(s) des plus jeunes qui sont nés dans les camps. Selon lui, ces jeunes qui vivent l’exil forcé en héritage construisent leur témoignage comme un récit identitaire « par essence » et fondent la politique palestinienne sur un double ancrage (Agier, 2006) : la mémoire entretenue de la terre perdue et la marginalisation sociale des réfugiés.
Cette étude montre que ces jeunes enquêtés, vivant dans un espace d’exception spatio-temporel (Hanafi, 2006), portent dans leur discours sur leur camp la marginalisation présentée par Agier. Cependant, ils occultent au camp les deux dimensions de lieu de mémoire (Doraï, 2006) et celle de territoire d’ancrage de la terre perdue décrite par Agier (Agier, 2006). Ils portent un nouveau discours pour représenter les camps comme un territoire de sécurité et de l’« entre-soi ».
Les paroles des jeunes reflètent la présence forte de situations de marginalisation sociale, de discrimination, de violence, de domination et d’oppression au quotidien. Par exemple, Majed, un jeune de 26 ans, sans diplôme et inactif, déclare que tout le monde a intérêt à préoccuper les Palestiniens par des besoins primaires et basiques, pour qu’ils n’aient pas l’esprit tranquille et ne puissent ainsi pas penser au droit au retour :
«Il faut que les Palestiniens restent démunis, à l’écart, marginalisés. Ils vont nous occuper par nos besoins basiques, de s’alimenter, parce qu’ils ne veulent pas que le Palestinien se repose, qu’il travaille. Ils ont peur que si le Palestinien a la tête tranquille, il ne pense plus au droit au retour, ils ne savent pas qu’on n’a jamais oublié ce droit malgré toutes les difficultés».
Nadine et Rose, quant à elle, soulignent les discriminations quotidiennes. Nadine a 26 ans, c’est une jeune réfugiée palestinienne, est célibataire, elle a un diplôme de technique supérieure en management et elle travaille dans le soutien scolaire privé. Elle donne des leçons pour assister les élèves à la maison, elle constate que :
«Tout ce qui passe dans le monde contraint le Palestinien. T’as pas le droit à un visa, t’as un bas salaire, tout ça c’est de la violence et de l’oppression».
De son côté, Rose a 20 ans, célibataire et lycéenne dit qu’:
«En tant qu’être humain et en tant que Palestinien les deux font qu’on est privés de beaucoup de choses. Dans le monde entier, la personne est privée indirectement de plus en plus des choses et spécialement le Palestinien parce qu’il est Palestinien. Par exemple le Palestinien au Liban est interdit de multiples professions, en plus quand le patron sait qu’il est Palestinien il le traite différemment, donc il a un traitement différent et est dominé».
Dernier exemple ici mobilisé, celui de Diyab qui, pour cause de discrimination au travail, a dû abandonner ses études et travailler pour sortir de la misère. Âgé de 26 ans, titulaire d’un brevet et d’un diplôme d’informatique, il est boucher dans le camp.
«J’ai arrêté mes études parce que nous Palestiniens on voit devant nous les jeunes qui bossent comme des fous et après ils deviennent ouvriers ça sert à quoi alors. Le travail m’a paru le seul moyen de m’en sortir».
Après avoir évoqué la marginalisation quotidienne vécue par les jeunes réfugiés palestiniens, je m’intéresse maintenant à la place qu’occupe la mémoire collective dans cette marginalisation quotidienne.
La mémoire collective
Si la transmission s’avère capitale dans la formation de la mémoire collective, elle sera, dans le cas du peuple palestinien, cruciale. En effet, cette mémoire de l’histoire de la Palestine et du peuple palestinien est au cœur de la construction de la conscience de l’identité palestinienne de l’exil. Elle s’est constituée à partir des histoires racontées par les parents et les grands-parents, aussi des romans familiaux qui ont tracé le basculement des Palestiniens à l’état de réfugiés à partir de 1948. Cette mémoire collective palestinienne est ancrée dans un passé dont la survie est tributaire de la transmission, généralement orale.
Cette mémoire collective est aussi le passé vécu au présent, que Nora définit comme :
«Le souvenir, ou l’ensemble de souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le sentiment du passé fait partie intégrante. Souvenirs d’évènements directement vécus… ou transmis par la tradition écrite, pratique ou orale…; mémoire active, entretenue par des institutions, des rites, une historiographie, ou mémoire latente et parfois reconquise… . La mémoire collective est ce qui reste du passé dans le vécu des groupes, ou ce que ces groupes font du passé» (Nora, 1978: 398).
Ainsi, la Palestine vit dans les communautés exilées par le biais de la mémoire et, par conséquent, le camp, quel qu’il soit, est vécu par les Palestiniens «comme un lieu d’attente provisoire où l’idée de la Palestine demeure vivante, pour mieux préparer le retour… il devient le support spatial de la mémoire palestinienne» (Doraï, 2006:93). Par contre, les cadres sociaux [3] (Halbwacks, 1994) de cette mémoire qui maintiennent une réinterprétation du passé périssent dans la durée. C’est principalement la génération qui a vécu la Nakba qui garantissait la transmission de la mémoire collective historique, composée par la mémoire personnelle «autobiographique» des aînés et transmise par l’histoire orale.
On peut distinguer deux mémoires: l’une intérieure, personnelle et autobiographique, et l’autre extérieure, sociale et historique. Halbwachs affirme que «la première s’aidera de la seconde puisque l’histoire de notre vie fait partie de l’histoire en général» (Halbwachs, 1997: 99). La mémoire sociale de la jeunesse palestinienne s’avère marquée par la souffrance quotidienne, cette souffrance prend le dessus sur le registre de «l’histoire» ou du symbolique d’une manière générale. Cette mémoire de la jeunesse est de plus en plus façonnée par le vécu collectif réel de l’espace commun matériel, et de moins en moins par le vécu symbolique de l’espace comme un espace de rencontre politique idéal et porteur des valeurs et des croyances de la jeunesse.
Dans les années 1960, la résistance palestinienne a modifié le discours palestinien sur les camps et leurs habitants. Cette mutation émancipatrice, dont parle al- Huseini (2008), a transformé l’image des Palestiniens de la première génération des réfugiés, qui ont vécu la Nakba et qui se sont installés par la suite dans les camps de réfugiés. Représentés au départ comme des êtres vulnérables et démunis, ils apparaissent rétrospectivement comme des combattants. Ce dynamisme éducatif a poussé les réfugiés les plus instruits de la seconde génération à s’intégrer au marché du travail régional et à procéder eux-mêmes à la rénovation de leurs unités d’habitation. Aujourd’hui, après plus de quarante ans de mutations politiques et sociales qui pèsent sur la quatrième génération des Palestiniens nés en exil dans les camps de réfugiés, ils deviennent des personnes économiquement vulnérables et dépendantes de l’aide humanitaire. La clé de cette mutation, à savoir le dynamisme éducatif des réfugiés de la deuxième génération nés en exil, ne fonctionne plus avec la génération actuelle sujette à des situations de plus en plus difficiles et plongée dans le désespoir. En effet, le non-droit et la discrimination au travail que subissent les jeunes Palestiniens dans les camps au Liban influencent le dynamisme éducatif émancipatoire et limitent le choix de ces jeunes réfugiés.
La durée de l’exil a entraîné une involution de la situation sociale du camp. Il est devenu en apparence un espace socialement et confessionnellement homogène. On y trouve, de plus en plus, des habitants de différentes nationalités comme des, Libanais, Syriens et Kurdes par exemple pour des raisons financières. En effet, les non-palestiniens d’origine sociale très modeste sont attirés par les loyers à bas prix des habitations dans le camp.
L’observation participante m’a aidée à noter que dans les camps, les liens sociaux sont forts, la solidarité émerge toujours. Les jeunes aiment la vie du camp qui est simple, sans barrière dans les relations sociales, et où les relations de voisinage sont fortes dans les ruelles où les habitants n’ont pas changé depuis les premiers arrivants. Ils ont une préférence pour leur ruelle dans les camps où ils trouvent refuge; ailleurs, ils se plaignent des ragots et des potins. Le camp est organisé selon le village d’origine des habitants, chaque ruelle étant dédiée aux habitants originaires d’un même village palestinien. Les parents préservent leurs enfants des autres qu’ils appellent «les voyous du camp». Dans les camps, les familles de différents niveaux économiques ont le même mode de vie, les pauvres dépensent selon leurs moyens et les riches économisent par précaution, par peur des imprévus et pour ménager le regard des autres sur leur vie et leurs dépenses.
Les jeunes rencontrés révèlent des manques dans les camps concernant les ressources matérielles et les services. Ils soulignent que, les infrastructures sont dans un état désastreux, le courant électrique est souvent coupé. Ce que l’État fournit en quantité ne suffit plus aux habitants. Ils continuent que, ni les particuliers ni les responsables ne veulent payer pour que l’État règle le problème, ceux qui ont les moyens font appel à un fournisseur privé. Ils rajoutent que les égouts sont mal refaits, il y a davantage d’insectes et de rongeurs et la boue s’accumule en hiver; L’eau est complètement polluée, les tuyaux d’eau potable sont à côté des égouts, même dans les écoles, l’eau pue l’eau de javel et des insectes tombent des robinets.
Pendant longtemps, les camps ont été un lieu d’apprentissage du politique, de l’identité et de la mémoire collective (Doraï, 2006), aujourd’hui ce sont des lieux de misère, partagé avec d’autres pauvres, et où les contraintes socio-économiques font perdre de vue la centralité de la mémoire collective. Ces contraintes sont d’autant plus dures à vivre qu’elles s’éternisent sans évoluer dans un sens positif. Au contraire, elles sont vécues dans un environnement qui subit de plus en plus la pression de la société de consommation dont, dès lors, les Palestiniens et surtout les jeunes se trouvent exclus. Ceci conduit à une situation d’anomie et à une posture paradoxale d’attirance-répulsion pour les camps. Les camps perdent avec la durée leur empreinte palestinienne pour devenir une prison de la misère.
Le camp: une source individuelle de protection, mais aussi de mal-être
Les camps sont des territoires marginalisés par l’État libanais et ne présentent plus d’identité politique spécifique. La présence dans les camps de familles de nationalités différentes représentant (Libanais, Syriens, Kurdes…), vient confirmer l’image actuelle du camp : un ghetto des pauvres et une prison de la misère.
Le développement dans les camps n’a jamais obéi à un développement organisé, sous prétexte du retour en Palestine. Les camps de réfugiés est par définition un lieu de séjour imposé et non pas choisi par une situation de guerre, de manière nécessairement provisoire puisqu’il se présente comme une alternative dans l’attente d’une solution définitive. Les camps de réfugiés palestiniens au Liban, bien qu’imposés, sont devenus des habitats permanents après soixante ans d’exil. Malgré le fait qu’ils soient contraints de vivre dans les camps, les jeunes se sentent en sécurité, parce qu’ils vivent avec leurs semblables et sont protégés du monde extérieur qui les domine. Les camps représentent alors un refuge.
Ainsi, Farida, une jeune femme de 20 ans, qui travaille comme animatrice dans une association au camp et Majed, un jeune de 24 ans, étudiant en histoire à l’université libanaise à Tripoli, font tous les deux parties d’une frange de la population convaincue que la sécurité, le bien-être et la protection des réfugiés palestiniens au Liban ne sont assurés que dans les camps. Ces jeunes n’aiment pas sortir du camp, car ils redoutent de se sentir dépaysés, ils en sortent donc uniquement pour régler leurs affaires. Ils préfèrent rester dans leur milieu social pour éviter les regards stigmatisants et les réflexions humiliantes, comme l’illustre ce propos de Majed: «vous êtes du camp, vous vivez dans des tentes. Encore plus ils nous disent vous êtes des Palestiniens vous venez de la Palestine pour étudier ici, vous n’avez pas des universités là-bas ? Ils font les ignorants».
Le camp manque aux jeunes. Pour désigner leur attachement au camp, ils utilisent souvent l’expression imagée « on est comme le poisson qui ne peut pas sortir de l’eau ». Les jeunes habitués à séjourner à l’extérieur du camp -à Beyrouth ou ailleurs- pour des raisons scolaires ou professionnelles sont contents d’y rentrer le week-end. Ils éprouvent dans et pour les camps un sentiment de fierté et de reconnaissance dû au fait de se retrouver en communauté. Ils trouvent de la solidarité à la place de l’individualisme. Après avoir vécu dans une grande ville, les camps, malgré tous leurs inconvénients, sont pour eux un village où la solidarité mécanique règne. Toutefois, plus les jeunes parlent des camps en général, plus une ambivalence affective avec celui-ci est ressentie. Les liens sociaux se transforment, la division de classe se renforce, le détachement familial et les problèmes s’accentuent. Tout un faisceau d’éléments participe à fragiliser ce statut de refuge qu’a les camps.
De plus, malgré cette protection du monde extérieur, que ces camps offrent, une insécurité règne à l’intérieur de ces derniers. Je remarque que cette insécurité est alimentée par le désordre, l’ « anarchie », la multiplicité des pouvoirs, le risque d’éclatement, la présence envahissante d’armes, les conflits civils et politiques entre les différentes tanzimat (organisations politiques), les discours sur des extrémistes religieux et politiques présents dans les camps. Rajoutons à cela la dégradation des conditions de vie, le bruit, la saleté et les problèmes liés au manque d’infrastructures, le statut est bien plus qu’ébranlé et fragilisé.
De nos jours, les jeunes ressentent de plus en plus les camps comme un lieu de vie imposé, admettent difficilement son existence et leur situation, du fait de la durée et refusent d’y vivre sous prétexte d’un hypothétique retour en Palestine. Il est à noter que ce désintérêt du droit au retour n’est pas un retournement de son usage, mais plutôt un refus de son instrumentalisation visant à leur imposer la vie précaire et humiliante des camps. En effet, je constate que ces jeunes ne veulent plus être parqués dans un espace clôturé, quadrillé et rangé, qui ne fait que maximiser la discipline imposée par la puissance dominante. Ils sacrifient ainsi leur droit le plus fondamental, le plus existentiel – le droit au retour- afin de rejeter un lieu qui leur a été imposé comme son corrélat nécessaire. Ainsi, le caractère obligatoire de la résidence dans les camps – obligation redoublée par la privation des moyens concrets qui leur permettraient de s’en abstraire- les révolte et les conduit à sacrifier le seul droit qui leur a été transmis, le droit au retour.
«Rien qu’en me mettant dans le camp, en disant tu restes ici pour préserver le « droit au retour », tu n’intègres pas la société libanaise, rien que cette façon de penser, en laissant de côté ce que moi je pense quand moi je décide de rester dans le camp, si j’ai le choix et si je suis libre, mais quand eux ils décident à ma place qu’il faut que je reste ici vivre cette vie misérable pour ne pas oublier mon pays « la Palestine » je dirai merde à mon pays, ça suffit» (Rachid [4]).
La répartition des Palestiniens dans les camps, des espaces clôturés, quadrillés et rang forment une discrimination spatiale comme le montre Kortam (2013) dans son livre. Ces camps sont transformés en un lieu d’état d’exception (Hanafi, 2006), où règne la suspension des lois et des règlementations. Avec l’état d’exception règne généralement le sentiment d’insécurité. L’espace d’exception est un état intermédiaire, inscrit dans l’espace, mais pas dans le temps, il peut être suspendu à n’importe quel moment. Le camp comme espace d’exception a construit sa propre loi pour sortir de l’absence et du vide des lois du souverain. Dans les camps prédomine une situation de loi alternative. Cette protection, dans une insécurité maîtrisée, pousse les jeunes à croire en elle et à vouloir y rester, malgré leurs réserves et leur rejet de certaines choses, comme nous avons évoqué.
Pour Sabrina et Maria, deux jeunes filles actives dans les camps, qui travaillent dans le social, les camps ont dépassé les limites strictement géographiques et règlementaires pour devenir le pays, la nation palestinienne en exil qu’il faut protéger.
«Pour nous c’est notre pays ici, quand on s’absente on a la nostalgie du camp, et c’est dans notre intérêt de le protéger… je reste dans le camp moi, c’est mon milieu et mon lieu de naissance» (Sabrina).
«La vie dans le camp c’est comme un paradis pour moi, je n’aime pas vivre à l’extérieur du camp. Il a ses souvenirs c’est ma vie» (Maria).
Dès lors, l’amour des jeunes pour le camp, leur lieu d’appartenance, est de l’ordre de l’«instinctif», du «normatif» et de l’«habituel». Wael, un jeune de 25 ans, inactif, avoue ne pas avoir assez de recul pour réfléchir à son mode de vie dans le camp: «Je ne sais pas trop j’ai l’habitude, je ne peux pas vraiment voir ce qui ne va pas» (Wael).
Vivre dans un espace imposé, mais l’aimé instinctivement, malgré l’état d’exception qui en découle, telle est la situation présente des jeunes palestiniens, toujours dans l’attente, non pas que du retour, mais d’une vie meilleure.
Temporalités du camp : un présent d’attente, un avenir inquiétant
Les jeunes sont partagés entre le désir de rester et de construire leur vie dans le camp et celui d’émigrer. Tout en revendiquant le droit au retour, selon leur définition, les jeunes cherchent une vie apte à leur rendre leur dignité humaine. Les jeunes sont partagés entre une stratégie d’évitement et une stratégie de la réalisation du rêve collectif d’une reconnaissance des droits.
Cette étude nous montre que les Palestiniens vivent une «souffrance sociale» provoquée par toute une violence symbolique dont ils sont victimes. Ils répètent souvent la phrase «devant toi je rigole, mais mon intérieur pleure» en arabe. L’enquête révèle qu’ils ne pensent qu’à l’émigration, ils ne se projettent dans le futur que dans l’émigration, ils ne supportent plus leur vie, ils ne se voient pas demeurer au Liban et, qui plus est, dans le camp. Ils ne peuvent pas émigrer facilement et même s’ils y parviennent, ce sera par des moyens illégaux, ce qui implique le risque d’un échec et d’un retour difficile au camp. Ces jeunes tentent de donner une image positive de leur vie dans le camp, qui est pour eux une façon de résister à la déprime, mais ce masque risque de tomber à n’importe quel moment, comme le souligne Salam, 27 ans, puéricultrice dans le camp:
«Ils vivent la misère et la dépression, on n’a plus des jeunes ils ont émigré ou sont dans l’attente. Quand je les vois dans la rue, je déprime, je me dis heureusement que je travaille pour canaliser mon énergie».
Ainsi, le présent devient la référence de ces jeunes qui, pour éviter l’angoisse de l’avenir, se défendent en rejetant toute idée de projection dans le futur. En quelque sorte, ils vivent attacher à l’instant comme nous le dit Rose:
«Les trois quarts vivent pour boire, manger et dormir, n’ont pas d’ambitions sauf s’ils continuent leur éducation ils auront plus d’ambition».
Face à une société qui ne leur fait pas de place, les jeunes sombrent dans un chagrin sans fin. Ils considèrent qu’ils n’ont pas reçu l’éducation qu’il faut et que tous les facteurs qui peuvent les pousser à la dérive sont présents. C’est ce que souligne Tarek [5] avec du recul :
«On est victime de nos parents parce qu’ils ne nous éduquent pas bien. On est victime de la société parce qu’on n’a pas de place et de lieu pour pouvoir corriger les dysfonctionnements de notre éducation familiale, pas de relais. Et même si je suis bon et que j’ai une bonne éducation, la société peut me corrompre et me pousser à la dérive, parce que le proverbe dit trop de pression cause une explosion, je ne sais pas dans quelques années si je reste dans cette situation de pression et de fatigue sans aucune contrepartie je déprimerai à la fin, je ne garantis pas comment ce que je deviendrai» (Tarek).
Avec toutes les souffrances psychologiques et les misères sociales et politiques, il y a des jeunes qui ont appris à adopter une attitude positive par rapport à la vie. Ils voient dans leur situation une expérience singulière et enrichissante; pour eux rares sont les jeunes qui ont cette chance. Sans nier leurs difficultés, ces jeunes préfèrent rester optimistes. En raison des difficultés qu’ils traversent – travaux pénibles, métiers usants – ils acquièrent malgré tout de l’expérience et le sens des responsabilités.
Ainsi, l’observation révèle que le camp est synonyme d’une vie instable, d’un moment d’attente qui, à présent, dure depuis soixante-dix ans, malgré le fait qu’il soit un lieu convivial et sécurisant de rassemblement familial, le camp reste synonyme d’une vie instable, d’une attente qui dure depuis plus de soixante ans. Cette situation d’instabilité reste encore présente malgré sa pérennisation, elle est provoquée par le statut d’étranger qui, depuis plus de soixante ans, colle à la peau des Palestiniens du Liban. Ce statut les discrimine à plusieurs niveaux et les renvoie toujours à leur statut de réfugié en attente.
Cette situation empêche aux jeunes de rêver, de planifier leur vie sur le long terme et même de bouger. Ils ont peur de se projeter dans l’avenir et prendre des engagements à plus ou moins long terme. Ainsi, ils arrêtent leurs études pour rester dans l’immédiateté d’une vie pénible qui les prive de tout : «Le plus dur c’est le sentiment d’être en prison. T’as une vie limitée» me dit Sami.
Tous les jeunes palestiniens enquêtés ont été très réservés quant au futur. Avec des rêves timides, ils préfèrent vivre au jour le jour de crainte d’être malheureux dans l’avenir. La réalité, avec ses nombreux problèmes forme le quotidien de cette jeunesse. Le pessimisme vis-à-vis du futur et l’absence d’espoir et de croyance en un monde nouveau perdurent et s’enracinent. La jeunesse des camps est de plus en plus figée, minée par le doute, vivant le présent décrit par Darwich, «le présent est si dur qu’il occulte sa propre historicité, son passé et son avenir» (Darwich, 1997: 101). Les jeunes ne nous paraissent pas exigeants, leurs souhaits tournent autour des besoins et des droits fondamentaux pour vivre dans la dignité, comme le droit de travailler et l’accès à l’emploi, le droit à la propriété et à un logement, ainsi que la possibilité de fonder une famille et le droit à l’héritage.
Parmi eux, il y a ceux qui ont des rêves «minimes», comme avoir sa propre chambre, une moto, avoir un abonnement internet à la maison, ou un téléphone portable par exemple. Ceux-là ne rêvent pas même de se marier, parce qu’ils n’arrivent pas à économiser pour des besoins secondaires. La vie quotidienne leur pèse. L’ennui, la peur, la fatigue et l’embarras entrecoupent leur voix tout au long de l’entretien. D’autres ont une bonne situation, mais s’interdisent de se projeter ou d’élargir leur rêve dans une situation vécue comme «instable» loin de la Palestine. Dans cette situation, les jeunes palestiniens ont l’impression qu’ils ne maîtrisent rien, même pas leur vie personnelle, ce qui les fait vivre une peur absolue, impossible à refouler dans l’inconscient. Le goût de l’amertume et l’obscurité du paysage sont leurs compagnons de route.
Ces jeunes n’ont pas appris, comme les jeunes appartenant à d’autres milieux, à se projeter dans l’avenir. Ils sont incapables de faire des projets à long terme. Ils vivent dans et pour l’instant présent, cette différence contribue à dresser des barrières entre eux et les autres jeunes libanais. Ils sont privés de mariage, de devenir professeur de sport, d’apprendre l’anglais, d’avoir une voiture, etc., tous ces manques indiquent clairement qu’à leurs yeux ils ne sont, pour le dire comme Elias (1997) «personne».
Les tensions, liées à l’espace du camp, entre le désir de rester et le souhait de partir, sont fortement présentes dans le discours des jeunes. Le sentiment des jeunes change selon qu’ils sont loin du camp ou dans le camp: plus ils sont loin et plus leur attachement au camp est fort. Le camp est le lieu intime où ils vivent librement. Paradoxalement, les jeunes distinguent une contrainte dans l’amour qu’ils portent au camp, ils se retrouvent alors devant une contradiction factuelle; ils aiment leur vie dans le camp, mais ils préfèreraient ne pas être là:
«Le camp est comme la maison à laquelle on s’est habitué. T’y trouves la routine palestinienne : la chicha, tes amis, tes potes. Rien de précis, les bâtiments ne sont pas beaux, pas d’architecture, il y a rien à aimer, mais tu dois l’aimer parce qu’il n’y a nulle part ailleurs. Parce que quand on est arrivés ici, il n’y avait pas où aller, c’est pour ça que t’es obligé de l’aimer» (Sami).
Pour éviter l’angoisse de l’avenir et de l’imprévisible, le présent devient la référence de ces jeunes, ils se défendent en rejetant toute idée de projection dans le futur, ils vivent attachés à l’instant présent. Bien qu’il soit un lieu de rassemblement familial, de convivialité et de protection, le camp est le synonyme d’une vie instable et d’attente.
Conclusion
Trois formes de composantes spatio-temporelles modulent le rapport des jeunes aux camps. La première est matérielle: elle consiste en la transformation des camps en ghetto des pauvres; en effet les camps rassemblent de plus en plus des populations pauvres et étrangères, ils perdent leur fonction propre de lieu de refuge pour les Palestiniens. La deuxième est relationnelle; dans les camps, les liens sociaux s’affaiblissent et les ressources manquent. La troisième est affective; les sentiments des jeunes oscillent entre la protection et le mal-être dans le camp. Ils sont attachés à leur vie dans le camp, mais en détestent certains aspects et aiment en sortir pour fuir la marginalisation et les discriminations, pour pouvoir construire leur vie et dépasser les barrières avec l’extérieur.
Ces composantes influencent les représentations que les jeunes ont du camp. Dans ces conditions difficiles et dans la durée, les jeunes sont limités dans l’espace du camp et forcés à satisfaire leur besoin et leur aspiration dans cet espace clôturé. Dans cet état de domination, ils pensent de moins en moins au camp comme un lieu où entretenir la mémoire de la terre perdue, il devient un espace handicapant om chaque jeune pense à y échapper individuellement par différents moyens et notamment l’émigration.
De surcroît, rester immobile dans le camp et dans l’«ici» n’augmentera pas le sens patriotique palestinien et ne diminuera pas l’engagement politique dans la lutte pour le droit au retour comme prétend les autorités libanaises. Pour cela, la lutte des jeunes palestiniens, qui aspirent à une mobilité spatiale et sociale et à un accès aux droits civils, est une lutte quotidienne pour une vie présente et un futur meilleur.
Dialoghi Mediterranei, n. 38, luglio 2019
[*] Abstract
Facendo ricorso al concetto di memoria collettiva e la nozione di futuro confiscato, in un approccio temporale, cerco di capire le attese e le speranze dei giovani rifugiati palestinesi nei campi libanesi. La mia analisi si basa su interviste individuali e di gruppo condotte con i giovani di età compresa tra 20 a 30 anni in diversi campi di rifugiati palestinesi in Libano. In effetti, nel campo, a lungo termine, primo luogo di apprendimento e di resistenza, la vita è una prigione. Riunisce sempre più poveri stranieri e sta perdendo la funzione di rifugio per i palestinesi, anche se rimane il luogo della loro sicurezza per eccellenza. Il sentimento dei giovani oscilla tra la protezione e il disagio nel campo. Sono attaccati alla loro vita, ma del campo odiano certi aspetti e amano uscirne per sfuggire alla marginalizzazione e alla discriminazione, per essere in grado di costruire le loro vite e superare le barriere con il mondo esterno. In queste condizioni difficili, i giovani pensano sempre meno al campo come luogo in cui conservare la memoria della terra perduta. In effetti, le strutture sociali di una memoria collettiva si dissipano nel tempo, il che indebolisce questo ricordo tra i più giovani. Vivono nell’immediatezza di non riuscire a proiettarsi in un futuro che appare precario e incerto.
Note
[1] United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East.
[2] Pour plus d’informations sur les habitats et l’état des maisons, voir : Al-Natour, Souheil (1993), Khalidi, Muhammad Ali (2001), Ugland, Ole (éd.) (2003).
[3] Espaces de socialité secondaire en langage durkheimien.
[4] Rachid a 26 ans, il est réfugié palestinien, célibataire, il est artiste, enseignant.
[5] Tarek a 26 ans, il est célibataire, il a une licence en biologie de l’université arabe de Beyrouth, il est enseignant à l’Unrwa.
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Marie Kortam, docente di sociologia all’Università di Beirut, presso il dipartimento di Storia contemporanea, ha conseguito il dottorato di ricerca all’università di Parigi. Membro del Consiglio arabo per le scienze sociali, collabora a numerosi progetti di ricerca sulle relazioni civili-militari. Ta i suoi interessi scientifici: la violenza e i movimenti sociali, i processi di radicalizzazione politica e l’organizzazione dei gruppi islamisti. Tra le sue ultime pubblicazioni si segnalano: Fighting terrorism and radicalisation in Europe’s neighbourhood: Discours Sur la Violence (Univ. Europeenne, 2018); How to scale up EU efforts; Jeunes du Centre, Jeunes de la Peripherie (2018).
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