di Stefano Montes [*]
Eveline fait partie d’un recueil, publié pour la première fois en 1914, dont le titre est, en français, Gens de Dublin. Mon analyse de cette nouvelle fait partie d’un projet plus vaste d’analyse portant sur l’ensemble du recueil et dont les finalités sont multiples:
1. l’application d’un outil de découverte, la méthodologie sémiotique, non simplement à une seule nouvelle, mais à un recueil entier afin de retrouver des variants et des invariants et de mettre en relief la continuité ou la discontinuité avec les autres œuvres de Joyce considérées comme plus expérimentales;
2. s’il est communément accepté que Joyce voulait représenter la paralysie de certains personnages, il faut aussi s’interroger sur la façon dont cette paralysie est produite dans l’organisation actorielle, spatiale et temporelle. La paralysie est étroitement reliée à un autre concept fondamental de Joyce, l’épiphanie [1], qu’il faut aussi expliciter méthodologiquement : les personnages envisagent des actions mais au moment crucial, l’épiphanie, ils ne les accomplissent pas et sont saisis par la paralysie.
L’idée d’épiphanie [2], récurrente dans toute l’œuvre de Joyce, évolue en suivant trois étapes différentes: 1. l’enregistrement de la vision du monde de la part de l’artiste (les écrits de jeunesse); 2. le montage textuel de l’expérience du réel, dans lequel des particules de temps deviennent métaphores d’une situation morale (Dubliners, Portrait); 3. la production de processus esthétiques par la dissolution du langage, à la différence du simple enregistrement relevé dans le premier point (Ulysses, Finnegans Wake).
En ce qui concerne la troisième définition de l’épiphanie, une partie de la critique a localisé dans la dissolution de la “syntagmaticité” stéréotypée du langage ordinaire le trait différentiel de l’Ulysses et de Finnegans Wake par rapport aux autres ouvrages. Mon hypothèse est que dans Eveline – et plus généralement dans le recueil entier – sous couverture d’un langage apparemment classique, on fait passer une “écriture en «marche continue» (Eisenstein, 1968: 39). La technique utilisée par Joyce dans Ulysses, pour rendre les pensées de Mrs Bloom en train de s’endormir, tourne autour de l’absence de ponctuation: cela permet de reproduire le continu des pensées. Dans Eveline, au contraire, derrière la surface lisse du texte se cache un montage complexe du sens, fondé sur une utilisation spécifique de l’aspectualisation.
La présente analyse portera uniquement sur cette nouvelle: il s’agira principalement d’expliciter la notion d’épiphanie chez Joyce et, en la comparant à la notion de saisie esthétique telle qu’on la trouve développée chez Greimas, d’en tirer des conclusions au sujet de la catégorie continu/discontinu [3].
Greimas et Courtés (1979) écrivent que pour la mise en scène des différents aspects il faut “un actant observateur pour qui l’action réalisée par un sujet installé dans le discours apparaît comme un procès, c’est-à-dire comme une «marche», un «déroulement» (1979: 22). Il est intéressant de relever qu’Eisenstein aussi bien que Greimas utilisent l’idée de marche pour le procès. L’importance du procès est à nouveau affirmée par Greimas dans De l’imperfection: l’expérience esthétique, conçue comme une forme de conjonction entre le sujet et l’objet, installe un continu, même si temporaire, entre le sujet de l’expérience et l’objet saisi.
Eisenstein, à son tour, à propos de l’art, souligne que «l’action du pathos propre à une œuvre revient à conduire le spectateur à l’extase. L’ek-stasis signifie littéralement «sortir de soi» ou «sortir de son état habituel» (1968: 17). Il écrit encore: «Faire sortir de soi, faire passer à un autre état, tout cela appartient, bien entendu, aux conditions d’action de tout art capable de nous captiver» (1968: 18). Il affirme aussi le caractère d’universalité des œuvres pathétiques: bien que le contenu des métaphores d’Homère et de Maiakovski soit différent, «le «principe de métaphore» – sa structure, son action psychique, et à un certain degré la loi de son apparition et de sa présence – est identique»[4] (1968: 20). En effet il dit: «Nous avons dégagé la formule selon laquelle sont construites les œuvres ‘pathétiques’. Pour que se produise l’effet pathétique, les éléments et les caractères d’une œuvre doivent se trouver, en permanence, ou occasionnellement, dans un état particulier: la condition en est que tous les éléments soient dans un état extatique – ce qui suppose, entre autres traits, un passage par bonds ininterrompus de la quantité à la qualité» (1968: 18). Il cite comme exemple un dessin de Saul Steinberg qui consiste en une main qui dessine un homme qui dessine un homme, et ainsi de suite, tout sur une ligne de continuité [5]. Bref, selon Eisenstein et Greimas la catégorie continu/discontinu est productrice, grâce à une organisation spécifique de traits constitutifs, d’effets esthétiques (qu’Eisenstein considère comme universelle). Il est en outre intéressant de relever que, bien que les deux auteurs parlent d’un état extraordinaire au-delà de l’habituel, Greimas met l’accent sur la conjonction Sujet-Objet tandis qu’Eisenstein insiste sur le passage du sujet à un état “hors de soi”.
En résumé, il y a donc quatre points importants à prendre en considération dans cette nouvelle: l’épiphanie (révélation correspondant à un état extraordinaire), la paralysie (état de manque), la saisie esthétique (état fusionnel comparable à l’épiphanie), la catégorie continu/discontinu (fondement de la construction de la nouvelle [6]).
En ce qui concerne l’épiphanie, l’entrée du Petit Robert dit: «manifestation de Jésus Christ aux Rois Mages venus pour l’adorer». Bien que Joyce n’ait pas inventé la notion d’épiphanie, il l’a effectivement utilisée comme notion directrice de sa poétique. La théorie, exprimée par Stephen Dedalus, condensée dans l’énoncé «a sudden spiritual manifestation whether in the vulgarity of speech or of gesture or in a memorable phase of the mind itself» (Joyce, 1963: 211), paraît avoir été empruntée par Joyce à Walter Pater, un écrivain anglais pour lequel le devoir de l’artiste est de saisir l’écoulement de la réalité et du continu des choses. L’artiste serait donc une espèce particulière d’actant observateur qui, à travers sa “discontinuisation” (mise en forme) du monde – manifestée dans l’œuvre d’art – en permet une intelligibilité supérieure et en révèle l’essence. Greimas et Courtés écrivent: «la projection du discontinu sur le continu est la première condition de l’intelligibilité du monde» (1979, 101). Il semble donc qu’au-delà du premier découpage du continuum en forme de l’expression et du contenu, il y aurait une sémantisation ultérieure du monde de la part de l’artiste. Mais comment un artiste peut-il resémantiser le monde?
Greimas (1987) a explicité ce processus esthétique chez cinq auteurs différents en résumant les composantes essentielles de la saisie esthétique (ce contact entre un sujet et un objet qui détermine l’altérité et la nouveauté). Ce processus peut être comparé à l’épiphanie chez Joyce. Les éléments relevés par Greimas sont les suivants: «l’enchâssement par la quotidienneté, l’attente, la rupture d’isotopie, l’ébranlement du sujet, le statut particulier de l’objet, la relation sensorielle entre les deux, l’unicité de l’expérience, l’espoir d’une conjonction totale à venir» (1987: 22)[7].
Pour que cette fusion entre le sujet et l’objet se produise, il doit y avoir une configuration aspectuelle qui «peut se manifester à l’intérieur d’une phrase, d’une séquence ou d’un discours» (Gremas/Courtes 1979: 23). Quelle est la configuration aspectuelle d’Eveline? La fabula [8] de la nouvelle est très simple : Eveline, assise à la fenêtre de sa maison, se souvient de son passé avant de se rendre à la gare où elle envisage de s’enfuir avec son amoureux à Buenos Aires pour échapper à un présent malheureux. Si la fabula est linéaire, en revanche l’intrigue se complexifie: d’un point de vue temporel, d’un point de vue aspectuel et d’un point de vue spatial.
La temporalité
D’un point de vue temporel, la nouvelle est montée de manière à produire un rythme d’aller-retours temporels qui segmente le flot continu des souvenirs d’Eveline. Le présent, le passé et le futur alternent en créant un rythme sur le plan du contenu. La récurrence du maintenant (“now”) provoque un rythme qui scande le temps apparemment désorganisé des pensées : les classes d’équivalences sémantiques projetées sur le syntagme gardent ainsi les traces de leur nature paradigmatique. En d’autres termes, le “maintenant” fait fonction de ponctuation du contenu (ligne de partage de catégorisations sémantiques qui se chevauchent, se repètent, s’anaphorisent, etc.) et en même temps d’indicateur temporel rythmant le contenu [9].
Dans Littérature et discontinu, Barthes écrit, pour expliquer le refus du livre de Butor, Mobile, que pour la critique «c’est la poésie et la poésie seule qui a pour fonction de recueillir tous les faits de subversion concernant la matérialité du livre: depuis Coup de dés, et les Calligrammes, personne ne peut trouver à redire à l’excentricité typographique ou au désordre rhétorique d’une composition poétique» (1965:175). Cela veut aussi dire que la rupture de certaines règles est prévue et acceptée à l’intérieur d’un genre bien précis, qu’il s’agisse de prose ou de poésie. Dans Eveline, l’obstacle est évité parce qu’on garde la structure de la prose classique mais on introduit, en revanche, des rimes du contenu. S’il peut paraître étrange qu’un mot comme “maintenant” produise un tel effet de rime, il faut rappeler que l’organisation de la nouvelle se fonde sur les va-et-vient temporels qui axiologisent les espaces en montrant, par vagues de souvenirs, les incertitudes d’Eveline. Voici les récurrences de “maintenant” (“now[10]”):
1. «Now she was going to go away like the others, to leave her home»
Quitter la maison constitue le thème de la nouvelle : la maison s’oppose aux autres endroits euphoriques lointains. En outre, on fait passer ici la catégorie vie/mort : les autres qui sont partis sont aussi des morts (la mère, Tizzie Dunn, Ernest). Mourir est ainsi une sorte de départ que Joyce va mieux développer dans la nouvelle Les morts et qui constitue déjà ici un paradoxe: les morts et les vivants s’équivalent (vie=mort) et la libération du départ, qui devrait correspondre à l’euphorique (vie/mort), est aussi une forme de mort. La paralysie est donc une forme d’insuffisance modale des sujets et une équivalence de valeurs fondamentales (vie=mort) qu’on présuppose catégoriquement distinctes (vie/mort) [11].
2. «He is in Melbourne now»
La catégorie près/loin fonde les déplacements thymiques des acteurs. Melbourne ou Buenos Aires, où Eveline devrait se rendre avec son amoureux, peu importe. Les espaces de l’ailleurs sont euphoriques. Il s’agit donc ici d’une forme de répétition du premier “maintenant”.
3. «Even now though she was over nineteen, she sometimes felt herself in danger of her father’s violence»
La référence à l’âge adulte réapparaît ici [12], et s’y ajoute à présent une autre valeur, dysphorique, liée à la violence du père d’Eveline.
4. «And now she had nobody to protect her»
Ce “maintenant” met en scène une structure actancielle complexe (adjuvant, anti-actant, sujet performant, etc.) mais aussi affirme à nouveau la catégorie vie/mort du premier “maintenant” et en même temps reprend le troisième “maintenant” (la violence).
5. «It was hard work – a hard life – but now that she was about to leave it she did not find it a wholly undesirable life».
La catégorie près/loin revient comme une espèce de basse continue qui s’enrichit de significations : le dur travail de célibataire s’oppose à la vie future de femme mariée. S’introduit aussi l’incertitude qui prépare la paralysie et le renoncement de la fin.
L’anaphore temporelle, dans les différentes occurrences de “maintenant”, fonctionne donc comme une forme de reprise dans laquelle l’information se répète en changeant par degrés et en élargissant la signification globale par reconfiguration de blocs en expansion ou condensés.
La macro-aspectualité
L’attente d’Eveline se déroule l’espace d’un soir, tandis qu’elle est assise à la fenêtre. L’attente se situe dans le présent, mais ce présent est occupé par l’évocation du passé et par les hypothèses sur le futur. On peut représenter l’attente par l’état d’un sujet modalisé par un /vouloir/ relatif à un objet et par un /croire/, celui qu’il se conjoindra avec cet objet de valeur. Mais dans le cas d’Eveline, le /vouloir/ et le /croire/ sont assouplis par l’incertitude des valeurs attribuées à la vie familiale (présent) et à sa vie amoureuse (futur). En d’autres termes, la tension vers l’objet de valeur – la fuite avec l’amoureux – est diminuée par l’oscillation des valeurs thymiques : le présent n’est pas tout à fait dysphorique et le futur n’est pas tout à fait euphorique.
L’événement transformateur – dans toute histoire est prévue une transformation – doit se dérouler à la gare maritime : mais c’est là que justement l’attente sera déçue et qu’Eveline sera saisie par la paralysie. L’attente – séquence terminative de la vie malheureuse du présent et phase inchoative d’une vie nouvelle à vivre avec son amoureux – se révèle comme l’anticipation d’un échec. Eveline est confrontée à un choix:
Le choix qu’Eveline doit faire est en fait mitigé par l’affaiblissement de l’axiologisation des deux possibilités: partir avec Frank voudrait dire une vie heureuse, mais pour ce faire, elle devrait quitter sa maison à laquelle, malgré les côtés négatifs, elle est attachée (par exemple, Eveline dit du père: «Sometimes he could be very nice»). L’épiphanie se révèle donc être l’échec d’Eveline, manifesté par l’incapacité d’agir et l’engourdissement de son corps [13].
La spatialité
Si on peut distinguer des espaces fermés et des espaces ouverts dans ce texte, il faut aussi ajouter qu’Eveline est toujours décrite comme se trouvant sur le seuil, comme si elle était en train de franchir la limite qu’on lui a assignée dans les espaces fermés. En réalité, elle n’arrivera pas à franchir la frontière de l’espace fermé dans lequel elle est prise. La nouvelle s’ouvre avec Eveline assise à la fenêtre, c’est-à-dire occupant un espace seuil entre la maison (espace dysphorique) et l’extérieur (espace catalyseur de souvenirs euphoriques). Mais même les espaces “naturellement” ouverts se transforment en espaces fermés: la description d’Eveline à la gare maritime est celle d’un animal en cage qui n’arrive pas à franchir les barreaux. On peut dire que le “presque” de l’aspectualisation temporelle se conjugue au “presque” de l’aspectualisation spatiale. Les configurations spatiales et temporelles, aspectualisées à l’unisson, produisent un système symbolique : la frontière spatiale est aussi une frontière temporelle. La stratégie narrative est donc très fine : Eveline, en sortant de l’espace dysphorique de la maison, plutôt que de franchir une limite, entre dans un nouvel espace fermé, la gare, c’est-à-dire – ironie du sort – un lieu de départ et de changement.
On a souvent mis en relief les enchâssements temporels selon lesquels s’articule la nouvelle, mais il est important aussi d’expliciter le jeu des espaces qui, malgré leur hétérogénéité apparente, se réduisent à trois catégories sémantiques.
1. La première est la suivante:
près / loin+inconnu
(dysphorique) (euphorique)
Home England
Stores Melbourne
Market Buenos Ayres
Les seuls endroits qui suspendent cette catégorie sont le “théâtre” [14] et le “champ de jeux”. Il est intéressant de remarquer, pour le théâtre, qu’il est “inhabituel” (“unaccustomed”) : c’est un endroit qui instaure une suspension des habitudes qui dominent la vie d’Eveline, normalement installée qu’elle est dans son univers de passivité [15]. Le champ de jeux, relié à l’enfance euphorique, est vu comme le seul espace ouvert et donc euphorique.
Il faut aussi souligner que ce qui est à mettre en relief n’est pas la naturalité d’un espace mais l’organisation que celui-ci reçoit dans le montage textuel. En effet, le champ de jeu garde dans Eveline l’ouverture qu’on lui reconnait dans le monde naturel et peut ainsi être reconnu comme espace euphorique, tandis que le marché dans lequel Eveline va faire les courses, bien que naturellement ouvert, est construit comme espace fermé dans lequel Eveline «elbowed her way through the crowds» (se fraie un chemin dans la foule). Bref, les espaces ne sont pas insérés dans les textes de façon naturelle ou référentielle, en gardant leurs caractéristiques d’ouverture et de fermeture, mais ils sont construits à partir de l’ensemble de la signification du texte.
2. La deuxième catégorie est la suivante
espaces fermés / espaces ouverts
(dysphoriques) (euphoriques)
Home Field
Stores Theatre
Market
Station
Tous ces espaces “axiologisent” des catégories sémantiques: la description, en dehors de sa fonction référentielle – nommer les choses –, constitue l’application de la catégorie thymique aux catégories sémantiques et la mise en relief de la modalisations des acteurs.
3. La troisième catégorie organisant les espaces n’est autre que le temps:
Passé Présent Futur
(euphorique) (dysphorique [16]) (euphorique)
window
outside
field home (outside)
England (the Waters) home (inside)
Melbourne
stores new home
school (the children) Buenos Ayres
theatre
Canada
the hill of Howth
station
L’espace est un ensemble complexe qui interagit avec les acteurs et le temps et dont la hiérarchie dépend des textes. Il faut donc penser les composantes discursives selon la dominante qui les organise par couches de relevance [17]. L’espace n’est pas toujours la dominante d’un texte: Greimas (1976) a montré que les espaces peuvent structurer un texte en se coordonnant aux systèmes des actions des acteurs. Dans les nouvelles de guerre de Maupassant, c’est le geste de réaction des Français qui transforme le piège – c’est à dire l’espace fermé – en victoire. Le cas d’Eveline est en revanche le suivant: Eveline est présentée dans un espace seuil, et sur le point de le franchir; mais Eveline ne franchira pas ce seuil et ne réagira pas aux méchancetés de son père, de Miss Gavan et des autres personnes. À la différence des personnages de Maupassant, chez Eveline, c’est la passivité qui prévaut.
Trois schémas de l’expérience esthétique
À la suite de cette analyse d’Eveline, on peut donc envisager un modèle simple de mise en forme de typologies d’espaces, d’associations pathémiques et de comportements des acteurs. La ligne horizontale désigne la continuité des événements, la ligne verticale la frontière-limite à dépasser.
1. Une première possibilité est le franchissement de cette limite: l’attente précède l’état limite et le franchissement de cette limite correspond à la nostalgie de l’événement. Voilà retrouvés les éléments relevés par Greimas:
quotidienneté, attente, ébranlement du sujet, unicité de l’expérience, nostalgie.
Le franchissement de la frontière, précédé par l’attente, produit un “état limite” (euphorique) qui n’est pourtant pas duratif et dont la conséquence est la nostalgie de cet état limite.
2. Une deuxième possibilité est mise en œuvre par l’action de s’approcher de la limite sans la dépasser. C’est exactement l’aspectualisation du procès accompli par Eveline.
Bien que l’attente d’un événement qui rompt la quotidienneté (les automatismes) soit prévue dans le texte, la rupture reste à l’état de virtualité: la possibilité de la transformation d’Eveline, toujours envisagée le long du texte, n’est pas accomplie dans le dénouement [18]. Elle se trouve sur une “frontière temporelle” (le présent), d’où elle porte son regard sur le passé et l’avenir en essayant de prendre une décision : les événements s’accumulent dans le flot de ses pensées tandis que, dans le même temps, elle reste sujet passif dans un espace “seuil” (la fenêtre, la gare). Au moment de l’action, le PN ne s’active pas parce que le continu [19] est réglé par l’absence du /pouvoir-faire/ d’Eveline. La succession apparente des événements ne comporte donc pas de rupture transformatrice de son état. La seule réaction d’Eveline est corporelle et correspond à l’immobilité, à la passivité, à l’enfermement. L’égarement qu’elle éprouve, à la fin de la nouvelle, peut être comparé à une saisie [20] esthétique axiologisée dysphoriquement. Il faut pourtant distinguer une saisie transformatrice (décrite par Greimas) de la saisie d’un état d’impuissance (l’épiphanie de Joyce est la révélation d’un état d’impuissance). Cette dernière ne transforme pas Eveline mais la projette, juste quand elle est en train de rompre l’immobilité de son état, dans le continu paralysant des événements.
3. Une troisième possibilité se fonde sur la transformation de l’état limite, d’état ponctuel en état duratif. Autrement dit, le sujet de la performance atteint et dépasse la frontière, qui se transforme en état permanent.
Pour les mystiques orientaux l’état d’illumination est un état euphorique duratif qui est précédé par des années d’initiation [21] et d’attente.
Dans les trois cas, l’aspectualisation de la performance des acteurs est associée à des pathèmes. Dans le premier cas on retrouve l’attente et la nostalgie, dans le deuxième on a l’angoisse et le renoncement, dans le troisième on a l’exaltation mystique.
Conclusions
On a souvent mis en relief le classicisme de Joyce dans Dubliners: ce recueil a été vu comme une sorte de préparation et d’épreuve avant les grandes œuvres expérimentales. Mon hypothèse est au contraire que Joyce se sert de la surface lisse de la nouvelle pour introduire des innovations radicales. La nouvelle analysée commence par cette phrase: «She sat at the window». De cette manière, Joyce introduit la description et se conforme apparemment aux naturalistes du XIX siècle qui justifiaient une description à travers la présence d’un observateur près d’une fenêtre ou d’une porte [22]. La nouveauté dans Eveline, c’est que la fenêtre, qui en apparence introduit une description de type naturaliste, fait en réalité fonction d’opérateur de débrayage cognitif (Eveline se souvient du passé) et d’opérateur d’aspectualité (une frontière, aussi temporelle que spatiale, à franchir). Le débrayage cognitif produit une rythmisation temporelle comparable aux rimes du plan de l’expression des poèmes [23] et le débrayage spatial est aspectualisé à l’unisson. En d’autres termes, la nouvelle pourrait être décrite comme l’expansion narrative de l’énoncé “être sur le point de”: si cela est normalement accepté d’un point de vue temporel, il est plus difficile de le reconnaître pour ce qui concerne l’espace. En effet, Greimas et Courtés (1976: 21) écrivent que l’aspectualisation est une procédure qui caractérise «les trois composantes d’actorialisation, de spatialisation et de temporalisation, constitutives des mécanismes de débrayage. Seule, cependant, l’aspectualisation de la temporalité a donné lieu jusqu’ici à des élaborations conceptuelles qui méritent d’être retenues». J’ai essayé de montrer, en suivant Greimas, que l’aspectualisation concerne l’espace aussi bien que le temps et que dans cette nouvelle ils opèrent en synchronie [24].
La saisie esthétique est une forme d’expérience esthétique possible grâce à des dispositifs textuels et culturels: si Greimas parle de fusion comme forme de conjonction (sujet/objet) à partir des analyses dans De l’imperfection, il faut aussi élargir le champ et inclure, dans les formes d’expérience esthétique, la disjonction ou la “sortie de soi” dont parle Eisenstein. La configuration aspectuelle joue un rôle fondamental dans l’expérience esthétique. J’ai utilisé trois schémas à partir d’une frontière à dépasser et d’un parcours du sujet:
1. frontière dépassée,
2. frontière approchée,
3. frontière dépassée et transformée en état duratif.
Il s’agit tout de même d’une simplification pour mieux expliquer Eveline mais on pourrait multiplier la combinaison de traits (euphorie/dysphorie, frontière atteinte [25], introduction des variables topologiques haut/bas [26], effets d’énonciation [27], etc.) pour mettre en œuvre une typologie plus complexe [28]. La littérature – y compris celle des mystiques – et les autres arts constituent un dépôt de sédimentation mais aussi d’innovation de ces pratiques: dans Eveline, par exemple, on a vu que la fenêtre, plutôt qu’un simple regard extérieur ou intérieur, introduit l’aspectualisation spatiale dysphorique dans l’ensemble de la nouvelle.
La paralysie est présentée dans la nouvelle sous des aspects multiples:
1. à travers le /non-faire/ et le /non-vouloir/ d’Eveline: ce sont les autres qui manipulent Eveline et qui agissent sur elle;
2. bien qu’Eveline ne soit qu’une nouvelle de l’attente et malgré la “proposition” d’un objet de valeur, la transformation finale prévue n’est pas réalisée;
3. l’état extraordinaire d’Eveline – l’égarement à la gare maritime – au lieu d’être un préalable à la transformation, n’est qu’un état de passivité d’un sujet privé de la modalité du /vouloir/;
4. les espaces sont toujours des endroits qu’Eveline est sur le point de franchir, mais qu’elle ne franchira jamais.
Je voudrais terminer en insistant sur la nature culturelle de l’espace: comme cela apparaît dans Eveline, la catégorie fermé/ouvert n’est pas un a-priori descriptif, elle est fonction de l’organisation globale du sens [29]. En outre, c’est un espace seuil ce qui déclenche la mémoire: la possibilité du dépassement (temporalité) d’une situation négative (moralité) de la part des personnages est toujours prévue, le long des textes, à partir de la mémoire du passé, mais elle n’est jamais accomplie dans le dénouement (la paralysie): l’événement, imminent et transformateur, envisagé textuellement, reste virtuel. Le rapprochement avec la Recherche de Proust (état fusionnel, mémoire du passé, etc.) est évident: il faudrait donc se demander, en approfondissant l’étude, s’il s’agit d’un dispositif culturel ou d’une simple coïncidence.
Dialoghi Mediterranei, n. 63, settembre 2023
[*] Abstract
Come si organizza il senso? Sulla scorta di alcuni studi importanti di Greimas e Barthes, avanzo l’ipotesi che il senso si organizza in base all’articolazione della categoria continuo/discontinuo. Metto alla prova questa ipotesi su una novella di Joyce, Eveline, che fa parte dei Dublinesi. Diversamente dalle opere più avanguardistiche di Joyce, quali l’Ulisse e Dedalus, le novelle raccolte nei Dublinesi – ivi compreso Eveline – sembrerebbero essere dei testi più classici. In contrasto con questa ipotesi più diffusa, mostro invece tutta la complessità del piano del contenuto di Eveline analizzando le componenti aspettuali relative allo spazio, al tempo e ai personaggi. Sulla stessa falsariga, prendo inoltre in conto il dispositivo della finestra – presente in Eveline, all’inizio della novella – non soltanto come operatore dello sguardo, ma anche come effetto di temporalità ritmicamente disposta sul piano del contenuto. L’analisi della novella è inoltre l’occasione per comparare alcune nozioni culturalmente orientate – quali epifania, paralisi, presa estetica, effetto patetico, soglia – discusse da Greimas, Ejzenstein, Lotman, Zilberberg. In conclusione, elaboro un modello – articolato sulle categorie di frontiera, attesa, continuo e discontinuo – dell’esperienza estetica che comprende emozioni centrali nella cultura quali l’angoscia, la rinuncia, la nostalgia, l’illuminazione. Nonostante la mia sia, qui, un’analisi testuale, si inserisce in linea di continuità con i tre studi precedenti da me pubblicati – in chiave più antropologica ed esistenziale – in Dialoghi Mediterranei sul ricordo e sulle sue modalità di manifestazione nell’esperienza di un individuo proiettato nel mondo. La domanda che mi pongo è fondamentalmente la seguente: quali sono le forme di continuità e discontinuità che si articolano nell’esperienza di un ‘individuo che ricorda’ il quale non può fare a meno, allo stesso tempo, di osservare e raccontare – e, in alcuni casi, persino testualizzare – ciò che gli accade. Un elemento importante in questo studio di Eveline, così come negli altri studi precedenti sul ricordo e sulla temporalità, è associato alle foto e alla loro capacità di raccontare il mondo in sequenza e in parallelo al testo scritto. Da qui ne consegue, la collaborazione d’ordine dialogico con Mattia Montes e con le sue fotografie.
Note
[1] Les photographies qui accompagnent le texte sont de Mattia Montes. Elles suivent en parallèle le texte en circonscrivant et en amplifiant, par les images, la portée de notions pris en compte dans l’analyse d’Eveline.
[2] D’après U. Eco (1996), Joyce conçoit l’épiphanie comme une situation récurrente, non seulement de l’art, mais de la vie aussi : Eco ne procède pourtant pas à une analyse qui permettrait de dégager les mécanismes textuels de l’épiphanie. Scholes (1982) analyse Eveline en combinant trois méthodologies (inspirées respectivement de Todorov, Grammaire du Décameron; Genette, Figures III; Barthes, S/Z), mais il n’utilise pas l’approche greimassienne, qui, me semble-t-il, pourrait mieux rendre compte de la notion d’épiphanie chez Joyce.
[3] Je n’envisagerai que l’épiphanie d’Eveline pour mieux expliciter le type de montage dont parle la critique : bien que j’aie privilégié l’aspectualisation, la nouvelle – considérée comme la métaphore d’une situation morale (déf. 2) – concerne tout le parcours génératif du sens.
[4] Dans le Potemkine «les brouillards d’Odessa sont comme un maillon qui relie la peinture pure à la musique… une peinture particulière qui, à travers le montage, a abordé le rythme des substitutions des intervalles réels et la succession sensible des répétitions dans le temps : autant d’éléments qui, à l’état pur, sont spécifiquement musicaux» (1968: 30). Autrement dit, la peinture, au même titre que la musique, a un rythme qui est produit par un montage de lignes, de plages et de couleurs: tout cela relève de l’aspectualisation qu’il ne faut donc pas limiter à un seul domaine de l’art.
[5] Il cite encore un système de planchettes entrecroisées qui se déploient en long, en produisant un passage dynamique de la première forme à la deuxième. L’aspectualisation est donc une mise en procès qu’on peut relever aussi bien en littérature que dans les autres arts.
[6] On devrait ajouter un cinquième point c’est-à-dire la situation morale globale qui est le résultat des jugements de valeurs et de la généralisation des traits des personnages et des situations.
[7] Si les éléments généraux relevés par Greimas (1987) correspondent à ceux de la nouvelle en question – l’épiphanie étant donc une sorte de saisie esthétique – il faut aussi souligner la différence d’agencement dans les structures sémio-narratives et discursives qui caractérise le style de Joyce.
[8] Selon les Formalistes russes la fabula concerne la succession chronologique des événements tandis que l’intrigue est la construction artistique produite par l’auteur.
[9] Il faut dire que la trame poétique du texte est construite aussi autour d’un autre indicateur, jamais (“never”), qui, ici, ne sera pas pris en compte.
[10] Si “maintenant” permet une alternance passé/présent, la force aspectuelle de “maintenant” dans cette nouvelle est toujours de type duratif. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, “maintenant” peut assumer différentes fonctions aspectuelles. Greimas et Keane le démontrent dans l’analyse d’un quatrain du poème La Cigale et la Fourmi de Jean de la Fontaine: en s’opposant à Nuit et jour, «… expression globalisante de la durée … le maintenant du maintenant du message apparaît alors, du fait de cette projection négative, comme une ponctualité réduisant à zéro le temps d’autrefois» (1990: 59). Il faut se demander alors si l’alternance du temps dans la mémoire d’Eveline n’est qu’une apparence illusoire et si l’insistance, dans la nouvelle, sur la durativité n’est pas, par conséquent, qu’un effet ultérieur de paralysie.
[11] La paralysie est rendue dans le texte par l’utilisation de procédures diverses : si l’indistinction des valeurs vie/mort en est une, il faut aussi anticiper, dans l’analyse, l’arrêt du programme narratif d’Eveline à la fin de la nouvelle.
[12] En effet, peu avant dans le texte on trouve cet énoncé : “that was a long time ago; she and her brothers and sisters were all grown up”. La traduction de Jacques Aubert (1974) y ajoute “maintenant”: «Il y avait bien longtemps de cela ; comme ses frères et ses sœurs, elle avait maintenant grandi». On pourrait donc dire que ce “maintenant” est une catalyse qui permet d’opposer la vie insouciante de l’enfant à la vie d’adulte : on met en place la catégorie enfant/adulte homologuée à celle d’euphorie/dysphorie.
[13] Un des axes de ma recherche, dans la comparaison de nouvelles des Dubliners, est aussi la forme des expressions corporelles dans la “syntagmaticité” des états passionnels (attenteàfrustrationàcolère, etc.). Pour ce qui concerne les formes de manifestation de la signification corporelle comme source d’un sens “fondamental”, cf. Landowski (1996) selon lequel le corps, par sa (co)présence, aspectualise – avec d’autres corps et avec le monde – le sens et produit des interactions que l’auteur appelle “intersomatiques”.
[14] Dans la traduction de Jacques Aubert (1974), le théâtre est décrit comme un lieu inhabituel dans lequel «elle nageait dans l’allégresse» (le texte original dit : “She felt elated”) : le théâtre, à la différence de ce qu’on constate dans le texte original, est donc ici mis en scène comme un espace ouvert et surtout marin. En effet, c’est en traversant la mer qu’Eveline ira à Melbourne avec son amoureux et la mer est son univers propre puisque Franck est un marin qui vient l’arracher à son univers de platitude et d’immobilité. Evidemment, la traduction améliore le texte de départ parce qu’elle insère une métaphore qui suit ces principes : les espaces ouverts (le marché, la gare) se transforment en espaces fermés et les espaces euphoriques (le théâtre, le champ de jeux) sont construits comme espaces ouverts. Cela confirme l’hypothèse selon laquelle les métaphores, et les figures rhétoriques en général, ne devraient pas être isolées du texte auquel elles appartiennent mais devraient être analysées en tenant compte de l’entière structuration du texte. Lotman (1973) le montre bien en analysant L’infini de Leopardi: «Il m’est doux de faire naufrage dans cette mer» est une métaphore qui dans l’ensemble du poème met en scène et justifie toute une série de catégories sémantiques (compact/diffus, haut/bas, etc.) qui s’intègrent dans l’organisation actantielle : un spectateur observe un paysage sur une colline et la vue d’une haie déclenche la chute du haut vers le bas, de la terre vers la mer. La noyade est une sorte de fusion dans un élément diffus: la mer.
[15] Si la paralysie est manifeste dans l’épilogue, où Eveline ne se conjoint pas à son objet de valeur, elle est aussi présente dans tout le déroulement de la nouvelle : Eveline n’est pas un vrai sujet elle est au contraire “agie” par les autres. La composante modale des acteurs est déterminée dans Eveline par l’aspectualisation de l’espace et du temps.
[16] Il faut rappeler que le présent d’Eveline, en étant une charnière entre le passé et le futur et en fonctionnant à l’unisson avec l’espace seuil, n’est pas toujours fixe mais oscille entre l’euphorique et le dysphorique.
[17] Jakobson (1977) a parlé d’une dominante spécifique de chaque époque, par exemple la musique dans le Romantisme et les arts visuels pendant la Renaissance. Si on applique cette idée aux textes eux-mêmes non seulement les composantes discursives mais toutes les couches du parcours génératif du sens pourraient être envisagées non plus comme des étapes fixes, mais en relation de dépendance hiérarchique selon les textes qui les informent.
[18] Le futur d’Eveline, temps euphorique, ne se présente que sous la forme d’un conditionnel improbable.
[19] Le continu ne sera pas l’absence de discrétisation mais la présence d’un état immuable qui réduit les différences au “même”.
[20] Bien qu’Eveline à la gare maritime éprouve un égarement comparable à l’ébranlement du sujet décrit par Greimas, en réalité il ne s’agit que d’une forme de passivité.
[21] P. Fabbri rappelle qu’«un des moyens pour tricher et pour éduquer est de jouer sur la distinction entre programmes d’usage (les moyens) et programmes de base (les fins) en échangeant l’un pour l’autre. Il suffit de rappeler l’histoire de Castañeda et des ensegneiments de Don Juan: Don Juan dit à Castañeda qu’il pourra avoir la drogue qui lui procurera un contact avec l’au-delà, mais qu’il doit d’abord apprendre certaines choses. Castañeda reçoit ainsi une éducation terrible et rigoureuse. Quand l’initiation est conclue, Don Juan lui révèle que l’éducation n’était pas le moyen, mais la fin. La drogue n’était qu’une fausse fin qui avait la fonction de faire accepter la vraie fin – c’est à dire l’éducation – qui aurait été refusée sans l’idée d’une récompense» (1991). Il est donc évident que les mystiques n’obtiennent pas des “illuminations” d’une seule manière. Dans le cas de Castañeda, ce n’est pas le dépassement d’une frontière qui provoque l’état limite mais c’est l’épreuve de l’apprentissage – en soi une attente – qui se révèle un état limite (l’illumination) après l’énonciation de la part de Don Juan. Si on voulait comparer l’histoire de Castañeda à l’histoire folklorique du prince en quête de la princesse, on pourrait dire que celui-ci s’arrêterait à l’épreuve qualifiante, c’est-à-dire au moment où il acquiert la compétence. La tricherie de Don Juan permet de faire passer à Castañeda une épreuve décisive sans qu’il la considère comme telle; en outre, c’est la révélation de cette tricherie qui transforme l’épreuve décisive en épreuve glorifiante.
[22] Selon Hamon (1981) dans le naturalisme français du XIX siècle on peut parler d’un dispositif commun : la présence d’une porte ou d’une fenêtre sont le prétexte nécessaire pour introduire et rendre naturelle une description.
[23] On devrait donc élargir la fonction poétique et remettre en question la distinction prose/poésie en appliquant l’hypothèse de Jakobson au plan du contenu.
[24] Pessoa de Barros, en analysant les compositions que les Brésiliens rédigent pour l’examen d’entrée à l’Université, a montré qu’une même configuration aspectuelle du temps et de l’espace organise les textes. Elle écrit: «Dans les compositions, il y a donc un dénominateur aspectuel commun aux temps, aux espaces et aux acteurs, qui peut être articulé génériquement par la catégorie continuité vs rupture» (1991: 11). L’hypothèse de Pessoa de Barros est culturelle: les jeunes Brésiliens «assument pleinement les valeurs de la culture brésilienne et font l’éloge, au moyen de procédures d’aspectualisation, de la modération, de la prudence, de la discrétion» (114).
[25] Par exemple, Zilberberg (1993) montre que pour le Don Juan de Molière l’objet de valeur n’est pas tant l’accomplissement de son programme narratif mais la douceur, la lenteur par laquelle il aspectualise sa performance. En d’autres termes, ce qui est dysphorique pour Eveline – approcher la frontière – est euphorique pour Don Juan.
[26] Dans l’expérience “sensible” des mystiques occidentaux le parcours est souvent vertical: Thérèse d’Avila, par exemple, pendant l’extase, se sépare de son corps et est attirée vers le haut et le léger.
[27] Cf. P. Fabbri (1991).
[28] Dans le cas d’Eveline, une frontière spatio-temporelle interrompt une structure narrative (Eveline ne se conjoint pas avec son objet de valeur) en mettant un point final au parcours narratif du sujet. Il semble donc que l’aspectualité, en accord avec l’agencement spatio-temporel spécifique, concerne aussi les structures sémio-narratives.
[29] Greimas, dans l’analyse de Deux amis (1976), parle de l’espace que les deux amis parcourent comme d’une série d’épreuves proppiennes: la description met en œuvre un espace auquel les sujets se confrontent.
Références bibliographiques
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Greimas A. J., Courtés J., Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, Paris, 1979
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Greimas A. J., De l’imperfection, Fanlac, Périgueux, 1987
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[1914] Gens de Dublin, traduit par Jacques Aubert, préface de Valéry Larbaud, Gallimard, Paris, 1974
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Lotman Iu. M., “Lettera del 28-9-1973” in Prefazione di R. Faccani a Lotman Iu. M., Uspenskij B. A., Tipologia della cultura, Bompiani, Milano, 1973
Pessoa de Barros D. L., “Deux questions sur l’aspectualisation des blocs” in J. Fontanille (ed.), Le discours aspectualisé, Pulim-Benjamins, Limoges-Amsterdam, 1991
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Stefano Montes, insegna Antropologia del linguaggio e Antropologia dei processi migratori e dei contesti culturali presso l’università di Palermo. In passato, ha insegnato all’università di Catania, Tartu, Tallinn e al Collège International de Philosophie di Parigi. È stato inoltre direttore di ricerca di un team franco- estone con sede principale nell’Università di Tartu. In seguito, è stato anche direttore di ricerca per due anni di un team franco-estone con sede nell’Università di Tallinn. Ha pubblicato in diverse riviste nazionali e internazionali. I suoi temi d’interesse principale riguardano soprattutto i rapporti tra linguaggi e culture, tra forme letterarie e forme etnografiche. Più recentemente, si è interessato ai processi migratori e alle pratiche del quotidiano con particolare riguardo all’intreccio instaurato tra attività cognitive e agentive.
Mattia Montes, viaggiatore fin dalla tenera età, prima in famiglia, poi da solo, ha sviluppato una passione di lunga data per la fotografia che ha trasformato, nel tempo e nei diversi luoghi in cui ha vissuto, in una riflessione sulle immagini e sull’immaginazione, nonché sulle modalità attraverso cui la fotografia stessa diventa sedimentazione della memoria ed elemento di soggettivazione individuale e sociale nel mondo. Oltre che alla pratica e teoria della foto, si interessa agli oggetti, al loro ruolo simbolico, e si considera appassionato collezionista di macchine fotografiche d’epoca.
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